Dans les années 70, la pire invention dans la vie d’un ado pré pubère est de loin et sans conteste… la cagoule.
Attention, il y a là du vécu !
Pour les ados du troisième millénaire, pas encore atteints par leur puberté galopante mais désormais précoce, cela doit être inconcevable et probablement lunaire comme propos, puisque guère d’actualité. Aujourd’hui, seuls les gangsters et les forces d’intervention policière en portent une, et encore, la leur revêt un caractère hautement symbolique d’anonymat recherché ou la certitude d’impressionner le quidam.
Tandis que sous notre ère, fort heureusement révolue, non seulement nous n’impressionnions pas, pire, nous étions tout bonnement grotesques.
Pour les plus anciens, tentez de vous remémorer la scène et avouez que franchement, il y avait plus seyant. Pour peu que dès 8h00, sous les frimas hivernaux sans pitié, justifiant le port de cette ignominie ponctuée de l’intransigeante rectitude maternelle, vous fûtes le seul et unique petit homme à arborer ce pseudo-casque de cosmonaute pur coton ; prestement lâché au beau milieu de braillards toujours prompts à se gausser. Pour le coup, vous ne pouviez prétendre vous faire passer pour le Youri Gagarine de l’époque, mais bien plus pour un pantin benêt asservi à sa génitrice, n’ayant pas osé lui dire que, non vraiment : « ça n’allait pas le faire, pas le faire du tout », et que de sa part c’était faire fi de la plus élémentaire des charités, même chrétienne.
Pire même, dans un élan quasi-sadique, avisé de votre sale caractère, elle soit restée vérifier que vous n’alliez pas subrepticement planquer cette fichue cagoule dans votre poche. Pour aussitôt vous intimer l’ordre de la voix et d’un œil noir corbeau, de réajuster ce maudit protège-froid. Sans jamais se soucier de ce qu’elle venait d’induire.
Là, si le ridicule tuait, vous auriez été la première victime à tomber au front du scurrile, tendance humiliation. Car vos petits camarades, eux, étaient peu portés sur la plus essentielle fraternité humaniste, faisant constater aux adultes la dure loi de la jungle des boutonneux scolarisés. De vous voir ainsi vêtu déclenchait l’hilarité générale aussi infailliblement que le clown fait rire. De surcroît, étant à la botte de votre « petite maman », vous ne pouviez espérer de la compassion mais plutôt les foudres de la moquerie la plus cruelle.
Pour revenir à cette tenue d’apparat même la mode, dont le principal but est l’instantanéité factuelle, qui possède toujours cet extraordinaire aloi de faire du neuf avec du vieux en boucle et en permanence, même la mode disais-je, n’a pas osé en pleine crise « revival » des merveilleuses années 70, ressortir ce « truc » dont certains furent honteusement affublés.
Ces génitrices inconséquentes ne trouvaient donc pas mieux que de nous couvrir de cette cagoule avant de franchir le perron familial.
Cet artifice vestimentaire me grattait, dans le désordre et par saccades avec une constance stakhanoviste : le cou, les oreilles, les joues et la tête et l’alouette n’en pouvait mais.
La mienne était verte ! D’un vert genre pomme granny, tendance astiquée par le commerçant retors pour mettre en valeur son produit et mieux le vendre.
Un vert dense et uniforme fort heureusement, il n’aurait plus manqué qu’elle comporte des motifs d’autres couleurs. Un vert visible, impossible de ne pas le remarquer. Une couleur qui ne s’accorde avec rien, rien des autres vêtements qui vous habillent. Un vert non coordonnable, improbable et immonde, comme l’objet.
Cette cagoule, outre sa fonction urticante, ne laissait apparaître que mes deux joues rougies et mon nez version pic à glace. Ces seules parties de mon visage en contact avec l’hiver glacial et tenace d’une lointaine contrée provinciale rugbystique. Proéminentes joues, car oui c’est exact, j’ai toujours eu des joues, que voulez-vous. Mes joues n’ont jamais aimé être engoncées, voire compressées par un casque, encore moins une cagoule.
Ainsi parées, mes douces joues avaient froid et devenaient l’élément concentrateur sibérien. Dans le même temps, à l’intérieur de cette cagoule, le reste de ma tête protégée avoisinait l’ébullition, une bouillotte à température proche de l’insupportable. Ceci ayant pour conséquence de perpétuellement et inévitablement d’une part, me faire transpirer, d’autre part, faire monter le rouge… aux joues, les pauvres.
Rien que pour ça, j’en veux à ma mère poule, il y a de quoi quand même.
Peut-on toutefois reprocher à nos mères nourricières et ultra-protectrices, version indice écran total, de vouloir couver leurs tendres chérubins et œuvrer pour ce qu’elles pensaient être leur santé.
Pourtant ce réflexe de poule couveuse m’a été préjudiciable. Marquant au fer rouge aussi sûrement que mes joues l’étaient, mes neurones suchauffés.
Se sont-elles rendu compte du mal, de la blessure profonde qu’elles ont provoqués en nous caparaçonnant de cette monstruosité grattante et désopilante ? Avaient-elles une quelconque vengeance à assouvir à notre encontre ? Nous qui les regardions encore avec les yeux de l’amour aveugle et contrit.
Ce couvre-chef peu élégant avait également un effet dévastateur auprès de la frêle et tendre gent féminine, que nos petits coeurs d’artichauts de l’époque croyaient pouvoir conquérir. C’était sans compter avec ce machin sur la tête. Un tue-l’amour, un repoussoir quasimodiesque vous laissant pantois de honte, cette componction qui finissait par monter, pour venir inéluctablement se loger précisément dans vos joues pourtant déjà suffisamment colorées, encore et toujours.