Fanny n’était peut-être pas à proprement parler une jolie femme, comme celles retouchées des magazines, mais elle était grâce et naturel ; là où réside cette beauté instinctive.
Elle portait harmonieusement sa trentaine. Son teint hâlé marquait une légère allure orientale, appuyée par de grands et magnifiques yeux en amandes de couleur noisette claire.
Son visage était fin, d’une finesse absolue. C’est en cela qu’elle envoûtait qui croisait son chemin. Tout chez elle, inspirait amour et sentiments.
Un léger maquillage autour des yeux servait à souligner la douceur de ses traits et ses pupilles marron. Aucun rouge à lèvres, aucune couleur pour surcharger ce qui n’avait besoin de l’être.
Tout comme ces traits, elle était gracile et élancée. Sa peau semblait douce et ses longs cheveux de jais tombaient en cascade le long de son dos. Elle ne passait pas inaperçue, sa présence était perceptible à celui qui n’est jamais insensible à une déesse quand il en voit une.
L’une des deux seules entorses à cette simplicité raffinée provenait de son parfum capiteux et sucré, flottant dans l’air pour laisser une empreinte tenace dans l’atmosphère. L’autre signe extérieur était un sac à main un tant soit peu clinquant et moderne regorgeant d’objets féminins. Seule concession faite à la joaillerie puisqu’elle ne portait ni bague, ni collier, aucun bijou ne venait orner cette féminité.
Elle savait tout ceci parfaitement, mais jamais n’en abusait. Le charme faisait partie intégrante de sa vie, sans en être une obsession, sans jamais mettre en avant ces atours.
En somme, il lui suffisait de sourire et laisser éclater sa joie, sa vie et son amour. Elle avait l’assurance de la force intérieure et de la majesté. Naturellement, quand quelqu’un l’abordait, elle répondait toujours d’un sourire avenant. L’invitation d’une jeune femme sans crainte de l’autre. Prompte à entamer une conversation de bon aloi, élégante et courtoise.
Ce caractère gracieux traduisait son physique, seul l’amour dévorant pour Benjamin surclassait sa tempérance d’ensemble. Car Fanny, telle une lave en fusion incandescente et irraisonnable, débordait de sentiments à l’encontre de celui qu’elle chérissait.
Elle ne le décrivait jamais, ne parlait de lui qu’à de rares exceptions. Elle pensait juste à lui sans cesse, avec exaltation. À l’évocation du patronyme de son amoureux, même son souffle s’effilochait. Sa présence, son corps, ses réconforts et attentions faisaient de cette femme un être comblé.
Jamais repue de son double masculin. Elle pensait tout possible avec lui, il pouvait tout se permettre, tout dire, tout penser.
Il pouvait lui demander de traverser les océans, le monde ou les montagnes. Sa vie sans chagrins, sans contraintes, sans carcans gravitait, par choix, autour de cet homme.
Dans le TGV qui avait laissé Paris, elle n’avait pu réprimer le besoin de lui téléphoner. À peine quitté le quai, elle avait composé le numéro cellulaire de son chéri. Mais aujourd’hui, ce n’était pas le manque qui la guidait, c’était la peur. Une peur sourde, écrasante, pesait sur tout son corps. Un bloc de béton comprimait son estomac. Une douleur physique intense, insupportable.
Son cerveau lui injectait des humeurs nauséabondes, pernicieuses. Quelque chose n’allait pas, quelque chose clochait. Elle le sentait depuis plusieurs jours et avait feint de l’ignorer. Ses neurones avaient bloqué cette information, elle était aveuglée par trop d’amour.
Mais là sur la plate-forme ferroviaire, il avait été tellement froid et distant, pressé de sortir de la gare, pressé de la laisser. Les doutes de Fanny s’étaient alors mués en certitudes dramatiques. Elle eut beau l’enlacer tendrement, le corps raidi de Benjamin fut une alerte supplémentaire.
Cet appel à bord du cheval de fer n’avait donc pu la calmer, la voix de son amant masquait difficilement son agacement. Cependant, Fanny voulait en avoir le cœur net. D’un cœur qui battait encore la chamade, un tambour de résonance à la simple évocation du prénom bien aimé.
Elle aborda la conversation de biais, doucement comme le timbre de sa voix. Pourtant, lui semblait déjà à l’autre bout du monde et se crispait sensiblement au fur et à mesure des interrogations de la jeune femme.
Elle voulait savoir, il ne voulait pas lui dire. Elle présumait tout à coup ce que l’avenir allait lui réserver, sombre et dévastateur. Il n’était toutefois pas prêt à lui avouer. Etait-il lassé, amoureux d’une autre ? Désormais étranger.
Le bruit ambiant dans le carré lunch de ce train rapide amplifiait la douleur de son âme. Elle tentait de rester concentrée sur sa conversation ; sur les mots choisis et les tentatives d’arracher des aveux ou des pistes à l’homme tout en esquive à l’autre bout du mobile.
Délicatement, elle porta sa main à son œil, les voyageurs présents eurent tous l’impression qu’elle tentait d’éliminer une poussière ayant élu domicile, trouvant ses yeux trop adorables pour les quitter. Fanny savait qu’il n’en était rien, c’était de toutes fines larmes qui perlaient à la bordure de ses paupières en pluie de peine et de douleur, annonciatrices de l’apocalypse.
Elle demeurait impassible pour ne rien trahir et ne rien dévoiler de la tristesse drapant doucement son corps et son cœur abasourdis.
Le noir se fit instantanément, le tunnel avala le monstre de fer charriant des passagers anachroniques, des gens heureux ou tristes, menteurs, intègres, riches ou pauvres, et Fanny aussi, puis la communication se coupa net.