Ne vous inquiétez pas, ce qui arrive est une histoire banale. Elle survient à des milliers de gens comme nous. Personne ne peut y échapper. C’est ainsi que va la vie, en quelque sorte une fatalité, dans l’ordre des choses.

Certains balaient ce sentiment d’un revers de main en prétendant que cela ne concerne que les mamans, ah bon ?!

Ce serait donc l’apanage de la féminité de ressentir exclusivement un tel flot de sentiments, ceux du manque et de l’absence. Cette boule de tristesse permanente, qui enserre le cœur et le cerveau, serait inconnue des hommes. Effectivement, je ne vous en parle pas, mais elle s’instille dans toutes les parcelles de mon corps, élit domicile et n’en repart jamais. Ce déchirement violent, incongru, insidieux me laisse parfois sans force et sans envie, souvent interdite. Je me reprends, mais bien vite me surprends à attendre votre retour, comme un petit vieux collé à sa fenêtre, espérant voir poindre une silhouette familière au bout de la rue.

Je vous l’ai déjà maintes fois répété, tellement de fois que vous devez penser que je radote, mais chacun sa vie, son cœur, et le reste, tout le reste. Vous devez vivre, vivre et courir, vivre tout court.

Rester collés l’un à l’autre ne serait qu’une liberté bafouée et ne changerait rien à l’existence, à la vôtre qui débute franchement et rien à la mienne qui prend une courbe différente.

« Vis, va et cours », ne laissez pas le temps vous rattraper ou faites semblant de le croire. Parce que je sais, avant vous, qu’un jour vous pourriez regretter l’instant où vous avez hésité à emprunter le chemin de l’aventure, du risque et de l’inconnu. Vous maudirez vos atermoiements, furieux de n’avoir pas eu plus de discernement. Ces moments-là ne sont pas pour aujourd’hui ni demain, si vous savez choisir de vivre, exploser, rayonner partout où vous le pouvez.

Rester collés à notre vie, ici, ne ferait que vous éloigner de vos aspirations, des trésors que vous ne manquerez pas de découvrir, des femmes ou des hommes à aimer, des dangers à surmonter. De ces évènements, de tous ces évènements, qui feront votre vie d’être humain digne et debout. Pas celle que je vous raconte par provocation ou fierté. Non, la vôtre dont vous pourrez un jour vous enorgueillir et qui aura fait de vous ce que vous serez.

De mon côté, je lutte à mesure que ma gorge se noue, que mon estomac se tord à l’idée des jours qui nous séparent. Cette perception sourde, mais irradiante des poncifs sur le sujet et la cohorte de souvenirs inévitablement remontant à la surface pour faire de toi le petit bonhomme rebondi et rigolard ou toi ma petite princesse têtue et vive.

Ces rappels magnifiques, mais inhumains ne sont, ne doivent qu’évoquer et conserver pieusement des moments festifs. Ils me servent plus à moi comme une bouée de sauvetage qu’à vous pour qui cela pourrait se révéler être une charge trop lourde à porter et vous entraîner vers les abysses. Fort heureusement ce fameux ordre des choses est fait correctement pour vous inciter à ne pas trop regarder derrière vous et saisir à pleines mains ce qui se présente. Vous devez assouvir vos rêves, vos passions ou fantasmes. On ne refait jamais l’histoire, on vit avec.

Ne vous retournez pas, ne regardez jamais par-dessus votre épaule. Je préfère devoir regarder devant moi pour vous apercevoir et savoir que vous remplissez votre vie.

Petit à petit, vous vous libérez du joug parental. Fini le carcan pesant et asphyxiant, un monde nouveau apparaît face à vous, comme le miracle d’une vie en devenir. Riez de la vie, aux filles et aux garçons ; jouissez de ces instants miraculeux, insouciants, révoltés, indignés, curieux, attentifs, mais libres. Ne laissez personne vous dicter vos humeurs ou vos volontés.

Vous allez enfin pouvoir vous mesurer, vous étalonner au reste du monde. Vous allez vous jauger, vous avez probablement peur, mais tout vous appartient désormais. Les petites roues de votre tricycle n’existent plus, vous pédalez sur votre propre vélo, celui d’un adulte. À vous d’emprunter la chaussée de votre propre vie. Votre sentier, vos expériences, et aussi malheureusement vos souffrances qui vous renverront à vos solitudes, ces moments sont à vous, à vous seul.

Vous êtes seul maître à bord.

Croyez-moi, vous laissez derrière vous un père qui jamais ne pourra vous quitter des yeux, qui attendra le moindre signe, même si je ne guette plus de la même façon la première bûche, je suis rassuré de vous voir, chacun, avec votre propre vélo, rouler droit et juste, sans les petites roues stabilisatrices.

Soyez sans crainte, croyez en vous comme je crois, moi, en cette jeune femme et ce jeune homme.

Et dites-vous que jamais, où que vous soyez, votre père fier de votre envol ne laissera son esprit prendre le pas sur son cœur pour oublier la fille et le fils qu’il aime.