Que peut bien motiver un particulier à décorer son petit lopin de terre personnel encadrant sa petite maisonnette ou à agrémenter façade et perron dans une complète divagation luminesque.

Existe-t-il une ambition à rivaliser avec les enluminures municipales dont ils sont les affidés ? Pensent-ils dans leur délire, improvisés chefs électriciens de l’Avent, que l’on mesure à l’aune du nombre d’ampoules accrochées, leur notoriété et leur réputation ? Quel orgueil, plaisir ou intérêt à dépenser tant et plus pour transformer son jardin en Champs-Élysées du quartier !

Est-ce une enfance refoulée ou, au contraire benoîte, qui les plonge dans cette fièvre lumineuse ? Est-ce la pression familiale, celle des rejetons qui ont, de facto, décidé que la maison ressemblera aux grands magasins visités le week-end précédent ? Quel mystère de la foi de fin d’année permettant de prolonger la croyance du gros bonhomme magenta, à baliser ici et là le jardin telle une piste d’atterrissage tendance gros-porteur, au cas où les rênes du patron encapuchonné de vermillon et fourrure, aient du mal à stabiliser le traîneau pour le poser sans encombre.

Admettez toutefois que l’idée n’est pas si saugrenue, de jalonner convenablement de vésicules fluorescentes et clignotantes, un endroit clair et accessible à la vue décroissante du vieux barbu à la zibeline cramoisie. Cette attention particulière poussant l’avantage pour le porteur des présents familiaux, d’éviter le crash dans le buisson de houx ou de ratiboiser votre touffe de bambous fraîchement plantés. Ce pourrait être un argument moins idiot qu’il n’y paraît. Pour revenir à cet ultime but, n’est-il pas plutôt l’objet d’une quête personnelle ?Certains opposent à tant de cynisme, la joie et l’amour béats à contenter leurs progénitures « cadeauriphores » et contempler leur enthousiasme irradiant chaque pièce de l’habitat. Ces marmots attendant avec impatience le moment divin de dévaler les escaliers en horde sauvage pour se coller au carreau façon nez de goret, les yeux gros comme des calots pour tenter de repérer, à tout hasard, le bonhomme Michelin reconverti en livreur de Noël. Enfin, à peine marris de ne l’avoir aperçu, se ruer vers l’amas de paquets commandés. Toutes ces chères têtes blondes, brunes, rousses ou sans poils sur le caillou, transmetteurs d’émotion, d’ignorance, d’insouciance et de naïveté réunies. Ces enfants dont la principale qualité réside à trouver tout encore beau, magique et juste, sans se poser de questions existentielles. Nous renvoyant à nos propres doutes ou interrogations de savoir pourquoi nous nous sommes égarés dans les méandres des conventions, jetant aux orties rêves et imagination. Dans cet émerveillement perpétuel, tous les matins, tous les soirs, c’est ce spectacle qui leur est offert, des illuminations fascinantes, grandioses, luminescentes, alternatives concoctées par le paternel intronisé archange lumière.

C’est peut-être cette raison qui prévaut à se mesurer à son voisin, à l’édile ou à la voirie. Que de temps passé à construire, arranger, paramétrer ces guirlandes, ces Pères Noël, ces traîneaux, leurs rênes, les mots mièvres inscrits en lettres clignotantes et autres objets ringards à ampoules et culots électriques. Quelle drôle de motivation à passer ces journées dominicales à parer son environnement de tubulures aussi grotesques que coûteuses ; ces artifices ou autres artefacts qui trônent dans le pré carré des aliénés du cérémonial de l’année qui s’étire ; ces décorations dont la plupart sont venues prêter main-forte aux nains du même jardin. Année après année, la litanie des périodes automatiquement festives de décembre voit fleurir les mêmes illustrations éclairantes, renouvelant la compétition locale du jardinet le mieux à même d’accueillir le monsieur au manteau carmin.

La créativité, parfois bridée par l’économie, n’a pas toujours eu droit au chapitre. Toutefois, la débauche et l’orgie électriques favorisent l’entreprise fournisseur du courant et laisse à croire au talent novateur et original du propriétaire. Une façon, sûrement, d’occulter, l’espace de quelques jours, le monde réel et anxiogène. Une sorte de transfert du monde vrai, impitoyable, injuste, castrateur vers un refuge tout en douceur, en lumière et féerie de pacotille. Ils pourraient organiser ce théâtre factice dans l’atmosphère douillette et feutrée de leur habitat intérieur, à l’insu du monde extérieur. Mais non, ils n’en ont cure, tant pis, d’être livrés à la moquerie et vindicte populaire du badaud de la rue, qui observe, goguenard, les rivalités lumineuses de l’escalade décorative.

Ces vils brocardeurs fondent leur existence sur le non-respect des us et coutumes, sur l’impertinence à tous crins qui se gaussent, vilipendent les Lenôtre de l’ornementation branchée sur secteur, tendance Professeur lampion. Ces ricaneurs sans vergogne des boudins rougeoyants, accrochés de toute part. Ces faquins et autres persifleurs qui ne participent pas à l’embellissement communal. Heureusement qu’ils existent fièrement, ces architectes du halo lumineux qui dépensent sans compter, sans regarder ni le temps, ni l’argent, ni le nombre de bestioles décoratives. Ces artistes du non-sens et du néant, pas même avares de leur mauvais goût.