Dans le patio à ciel ouvert d’un hôtel lémanique de luxe, confortablement assis dans un canapé de cuir moelleux, je me délectais d’une vitole de ma marque préférée en regardant les volutes de fumée rejoindre le ciel clair parsemé d’étoiles d’une fulgurance incroyable. Mon esprit vagabondait d’idées en rêvasseries, ne parvenant à accrocher une quelconque réflexion un tant soit peu tangible.

Pour ainsi dire, je flottais çà et là dans un de ces moments d’une rare sérénité dans la vie d’un humain un peu affairé. Peu de choses accaparaient mon attention. Peu le devaient d’ailleurs.

Pourtant, au détour d’une bouffée libérée à l’air libre, mon regard se fixa sur les rideaux de cette imposante façade de verre qui abritait ses clients dans des chambres tout aussi étoilées. Des gens en transit pour un temps défini, une vie qui se tramait, une vie fugace et instantanée. Une vie de nomades argentés prenant leurs marques, rangeant leurs affaires et se préparant à accomplir leur destinée. Un comportement en somme commun qui ne manquait pourtant pas de me subjuguer.

Derrière ces rideaux au coton coloré, les silhouettes allaient et venaient dans un ballet d’ombres chinoises sournoises, mystérieuses et fantasmagoriques. Les formes glissaient sur la moquette épaisse, feutrant le bruit de leurs pas.

Qui pouvait bien se cacher dans ces chambres cossues et onéreuses ? Que d’aventures pittoresques ou proprement banales étaient ourdies. Là, à quelques pas de moi, devant mes yeux de voyeur, se déroulaient des scènes impossibles à connaître, mais sûrement passionnantes ou simplement anodines. Je ne pus décrocher mes yeux de ces baies, tentant d’en apercevoir la vie intérieure. Je parcourais les différents étages à la recherche d’une vision plus nette qui m’apprendrait des choses sur les personnes détentrices de la chambre en question.

Improvisé voyeur hôtelier, j’attendais de surprendre tel ou tel. Ai-je voulu imaginer, ou réellement vu des corps somptueux s’entrelacer ? Elle, déesse sublime, maîtresse sensuelle ayant attendu son amant démoniaque plusieurs heures. Lasse de retenir l’envie qui la dévorait et la passion qu’il provoquait chez elle. Cet espace réservé pour abriter leurs ébats et leur union illicite à l’ombre des regards accompagnée de champagne. Ils apparurent furtivement masqués par le tissu suspendu, leurs profils se mélangeant dans une effusion que l’attente avait rendue encore plus passionnelle. Derrière les rideaux, en relief, les deux corps s’entremêlaient en une étreinte langoureuse. Puis ne pouvant plus attendre, ils s’éloignèrent et disparurent probablement vers le lit, laissant la lumière pour mieux regarder leurs corps dénudés, pourtant le grand halo n’offrait plus aucune perspective pour celui que j’étais.

Là, j’ai cru voir une autre histoire insoupçonnée se déployer devant mes yeux écarquillés de curiosité, prêt à comprendre l’indicible. Lui qui, dans un geste nerveux, le regard tendu, écartant les tentures, attendait angoissé son rendez-vous d’affaires qui allait conditionner tout son avenir. S’il réussissait à convaincre les futurs investisseurs venus du froid de l’Est, il pouvait espérer une tout autre vie, une vie plus opulente, plus proche de ses aspirations, plus futile aussi. Mais qu’importe la vacuité de l’existence quand on en a les fruits mûrs ?

Ailleurs, derrière les ouvertures vitrées aux rideaux de taffetas opaques, quelles pouvaient bien être les histoires magiques ou incongrues ? Comment savoir ou saisir la moindre parcelle de vie cachée et protégée pour préserver l’intimité ?

Des centaines d’humains en partance ou en transit, venus chercher quelque chose d’autre, différent de leur ordinaire national. Des personnages qui se croisent sans jamais se parler, courant vers un but précis. Certains y trouvaient leurs marques immédiatement, d’autres frappés par la nostalgie de leur domicile, n’avaient qu’une seule hâte, partir après avoir accompli leur tâche.

Mais toutes ces fenêtres ne me livreraient pas leurs secrets, ni aujourd’hui ni jamais, les inconnues ombrées resteraient le temps de leur apparition un contour noirci par la nuit tombante, sans jamais compromettre leur identité. Leurs galbes imparfaits demeureraient incognitos et ne révéleraient pas la raison de leur présence ni leurs histoires ; mais en définitive, derrière ces rideaux s’y passe ce que vous avez envie qu’il s’y passe.