Les transports en commun n’aiment pas les voyageurs. Constat impitoyablement réel quand on a eu à vivre les montées et descentes dans les entrailles du métro ou autres modules ferroviaires de grandes mégalopoles.

Monter, descendre, remonter, redescendre autant de marches ou de couloirs interminables qui feraient passer la foire du trône pour une doucereuse balade de santé, en yoyo quoi qu’il en soit.

Cependant monter et descendre n’est rien, si nous n’étions chargés telle la mule transportant les vivres d’une population entière pour l’année complète.

Réussir une telle prouesse nécessite d’avoir un diplôme de dresseur de valises professionnel, à tout le moins. Il est vrai que les fabricants de ce genre d’objet déploient des trésors d’ingéniosité pour rendre les sacoches à roulettes tendance, pratiques, jolies ou rigolotes. Mais toujours pour en mettre plus, donc pour souffrir encore plus.

Elles ont beau être à quatre roues, multicolores ou surtout légères et moins volumineuses, le chemin de croix demeure semblable, interminable. Le seul progrès espéré serait la téléportation, mais pour le moment les vêtements se désagrègent, je ne parle même pas de votre enveloppe corporelle. Autant dire que ce n’est pas pour demain ni dans les mois à venir n’est pas Mister Spock qui veut.

Aussi portons-nous ces valises, comme de petits trains télécommandés, dans un fatras d’un bruit disgracieux que le bitume fort mal conçu ne laisse pas rouler si facilement. Au bout de quelques usages, ces petites roulettes de plastique déjà épuisées émettent des sons cacophoniques et discordants dans les halls de concentration à voyageurs que vous traversez, vous ne pouvez passer inaperçus, cette farandole devient la symphonie en roulettes majeure. On a renvoyé des chefs d’orchestre pour moins que cela. Triste solitude.

Rien ne paraît ordonnancé dans ce bal des malles à roulettes. Ces vastes espaces où se croisent et s’entrecroisent des porteurs interlopes affublés de leurs coquilles d’escargots déportées. On ne sait s’ils traînent des objets inanimés ou leurs fidèles toutous. Non content de cavaler comme des dératés après qui un train, qui un avion ou qui un métro, ils trimballent leur condensé de vie qui parfois se résume à peu.

Pour l’observateur non concerné, le portage peut se révéler une scène au ressort comique hilarant. Il faut les voir arpenter les salles de transit, mètre carré par mètre carré ; suer sang et eau, transpirer, souffler à mesure de leurs pérégrinations. Ils se croisent, s’épient, se bousculent, des chiens en vadrouille qui voudraient se renifler : « Tu as quoi dans tes valises, toi ? », « Et toi, t’as emporté quoi de beau ? Tu mets une culotte rose, y paraît ». Mais le temps est trop court pour converser et se flairer plus, les correspondances ne prêtent guère à la conversation.

Revoilà reparti le petit bal des valoches roulantes que les moindres aspérités font vriller ridiculement, sans parler d’un virage mal négocié à 90° qui transforme le calvaire en supplice. Vous êtes la victime expiatoire des transports, le voyageur impénitent roulant sa croix.

Car si cet objet est étudié, paraît-il, en laboratoire, mieux même, testé sur de très perfectionnés appareils, alors ce sont les ingénieurs que l’on devrait obliger à transporter leurs trouvailles pour appréhender tout le mal qu’ils nous causent. Survivre aux vicissitudes du voyage en milieu inhospitalier est un sacerdoce à connaître.

Il faut traîner sa mallette, mais là n’est pas la plus délicate épreuve à endurer. Le pire est encore à venir. Le portique des métros et leur implacable manière de ne pas tenir compte de ce qui défile entre leurs deux mâchoires caoutchouteuses. Le cauchemar vivant du pauvre pèlerin dont on ne sort jamais indemne.

Existe-t-il une technique ? Est-il possible d’échapper à la brutalité sans nom et au déshonneur, devant la foule témoin de votre maladresse à passer le portail automatique ? Ces passants libres de leurs mouvements assistant, interdits, mais sarcastiques à votre infortune et aux gestes empruntés et gauches en vous débattant d’avoir été pris dans la nasse.

Cette détresse que beaucoup refusent de partager, pour une fois qu’ils n’en font pas les frais ; le malheur des uns….

Non content de vous promener avec votre maisonnette ambulante, vous voilà devant l’hydre menaçante, le portail du métro. Quelle technique n’avez-vous pas déjà tentée, toutes ? Sûrement, mais aucune n’a de prise sur la bête. Vous vous débattez pour commencer avec votre ticket, qu’il vous faut retrouver dans l’une de vos poches, mais laquelle déjà ? Ensuite il vous faut l’insérer dans l’interstice de la machine, attendre que les portes daignent s’ouvrir, ce qu’elles rechignent à faire immédiatement, l’électronique est capricieux ; dommage, vous vous êtes engouffré gaillard dans ce tunnel, mais vous voilà léchant le caoutchouc hermétique. Finalement, magnanimes, les portes s’entrouvrent tel un sésame prometteur. À partir de ce moment-là, votre temps est compté, extrêmement compté.

Surpris, votre réaction manque de spontanéité, vous ne démarrez pas au quart de tour, funeste temporisation, les transports demandent instinct et réflexes. Car vous avez oublié de récupérer votre ticket, sorti lui sans encombre, attendant d’être récupéré. Mais votre promptitude est obérée par une panique qui enserre votre cerveau pour prévenir toute coordination à lancer le ticket, le récupérer, attendre l’ouverture des portes et passer ; simple, non ?

Hé oui, seulement c’est oublier la fameuse et incontournable valise. Celle qui attend sagement derrière vous. Un manque de vivacité pourrait vous être facturé comptant, pour peu que vous ayez marqué un temps d’arrêt lors de ces phases bien précises au moment de vous saisir de votre attelage léger et ambulatoire. Pire encore si vous êtes passé, pas peu fier, arborant le visage du vainqueur triomphal et arrogant que déjà les battants amorcent leur mouvement inverse, se refermant sur votre misérable valise…

Heureusement vous vous consolerez en regardant le pauvre quidam à côté de vous, qui lui, encore plus ignorant, déambule avec rien mieux que deux valises, dont une ne roule pas ou plus. Il vous faudra donc faire un choix sur l’ordre des objets pour franchir la ligne Maginot du portique métropolitain, car tous n’auront pas le loisir de l’évasion héroïque.

Et encore, remerciez le dieu des transports, dans son infinie bonté d’avoir imaginé telle barrière novatrice ; parce qu’un peu plus loin, au sortir d’un dédale de couloirs improbable, vous attend la pire bête qui soit, celle qui fera de votre calvaire à roulettes une torture de la pire espèce, où tout le reste n’était encore qu’une vaste bouffonnade ; là devant vous, se dresse impitoyable, odieux et implacable, le roi des ancestraux portillons, l’infranchissable, celui à tourniquet.