Hervé Gransart

Ils étaient assis à l’arrêt de bus, sages. Seul le petit homme dont les pieds ne touchaient terre agitait ses jambes dans le vide, d’avant en arrière. Un mouvement de balancier qui traduisait l’ébullition des pensées de son cerveau. À moins que ce ne soit l’ennui de l’attente.

Il n’était effrayé de rien. Son regard se promenait de-ci, de-là, sans vraiment se fixer, sans vraiment chercher quelque chose de particulier. Il attendait, avec son papa, un bus qui tardait à venir.

L’homme, lui, avait la tête penchée en arrière, appuyée contre la paroi en verre de l’abri. Il faisait face au soleil dont il profitait. Les premiers dards printaniers, à défaut de lui réchauffer le cœur, inondaient sa peau et lui apportaient quelque réconfort. Il était livide, une barbe brune et dense, de plusieurs jours, accentuait ses traits tirés.

Il trahissait la fatigue, la douleur et bien plus, le chagrin.

L’attitude insouciante du petit tranchait singulièrement avec le père. L’un semblait exagérément abattu tandis que l’autre paraissait démesurément serein.

Chacun vivait cet instant à sa façon et diamétralement opposé, avec une attitude presque anachronique.

Le seul évènement factuel qui les liait était l’attente interminable du bus à cet arrêt. La question que posa soudainement l’enfant mesura, pour le père, son incompréhension.

  • Tu es triste ?

L’homme mit du temps pour s’extirper de sa léthargie et autant de temps pour trouver une réponse de circonstance. Il laissa en suspens, l’espace d’un moment, l’interrogation.

  • Oui, un peu

Dans l’atténuation de sa réponse, cherchait-il à ne pas effrayer son fils – probablement.

L’enfant laissa son regard, aller et venir, sans regarder son père.

  • Non, tu as l’air vraiment triste
  • Ne t’inquiète pas
  • Tu es triste parce que maman est partie ?
  • Oui forcément

Lui, sentit les larmes monter. Il réprima ce flot qu’il voulait absolument éviter face à son enfant. Le petit posa, doucement, sa main sur celle de son papa

  • Elle ne reviendra plus ?
  • Non chéri, elle ne reviendra plus
  • Elle est dans un endroit plus joli ?
  • Oui en quelque sorte
  • Elle pense à nous ?
  • Sans aucun doute, sans aucun doute

Sa phrase répétée fit écho dans sa tête.

  • Mais tu devrais penser à autre chose, arriva-t-il à murmurer. Tu sais nous en avons déjà parlé.
  • Oui je sais, dit le petit garçon buté, mais j’avais envie d’en parler encore. Et puis je te voyais triste
  • Ça va passer, c’est la vie mon bonhomme
  • Mais nous, on est en vie papa
  • Oui, tu as raison bonhomme, nous sommes en vie
  • Alors c’est bien, dit-il simplement

Son père se garda d’ajouter quoi que ce soit et renversa sa tête contre la paroi vitrée de l’abri pour reprendre une dose de soleil et laissa la phrase se perdre dans l’air réchauffé.